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Dépoussiérer la collecte

À la baisse des volumes collectés s’ajoutent des difficultés structurelles : un débit de récolte de plus en plus rapide, des installations de stockage désuètes et surdimensionnées, des créneaux de ventilation naturelle restreints par le réchauffement climatique, des contraintes réglementaires… Le tout dans un contexte économique incertain, marqué par des marchés trop peu rémunérateurs. Ces difficultés pèsent sur la rentabilité des organismes stockeurs. Dans un objectif de regain de leur compétitivité, trois pistes sont ici explorées : la modernisation des infrastructures, la digitalisation des procédés et des flux ainsi que la mutualisation des outils et des moyens.

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En France, près de 500 entreprises collectent chaque année 90 % des céréales. D’après Intercéréales, deux tiers des volumes sont captés par les coopératives, le reste par les négoces. Ces organismes stockeurs génèrent un chiffre d’affaires de 26 Mds€ et emploient près de 44 000 ETP.

Selon Agreste, les surfaces de céréales sont orientées à la baisse depuis dix ans avec une forte variabilité en fonction des années. La surface de blé tendre est ainsi passée de 5,1 Mha en 2014 à 4,39 Mha en 2024, soit près de 12 Mt collectées en moins. Côté maïs grain, semences comprises, les surfaces atteignent 1,4 Mha en 2024 contre 1,8 Mha en 2014. En cause ? « Une déprise agricole dans le sud de la France et une perte de la bataille de l’assolement au nord du Bassin parisien au profit de cultures industrielles et légumières », pointe Antoine Hacard, président de La Coopération agricole Métiers du grain.

Une problématique structurelle

À cette baisse des volumes de collecte, s’ajoutent des difficultés structurelles. D’abord, une cadence de récolte de plus en plus rapide en raison des progrès sur les engins agricoles. « D’où la nécessité d’une manutention performante, à débit élevé, pour éviter l’effet “goulot d’étranglement” », souligne Catherine Matt, directrice de LCA Métiers du grain. À cela s’ajoute une architecture de collecte inadaptée. « Pensée après-guerre, elle est désuète face à des échanges davantage mondiaux et donc volatils. Ses infrastructures pèsent sur le prix des matières premières et pénalisent la compétitivité des céréales françaises à l’international », indique Marie Jourdain, consultante au sein du cabinet de conseil Sowing, spécialisé dans l’agro-industrie.

Certaines de ces installations ne sont plus adaptées aux conditions actuelles, avec des capacités de stockage souvent surdimensionnées. « Cette surcapacité a poussé certains OS à fermer des sites, précise Jonathan Thevenet, directeur de l’organisme de formation Asfona. Seulement, c’est un choix qui doit être bien évalué. L’an dernier, la récolte d’automne a été anormalement humide et les capacités de séchage ont été mises à mal dans certaines zones. » Toute la difficulté est donc « d’adapter au mieux sa capacité de stockage en fonction des aléas éventuels ».

D’autre part, « la diminution des créneaux de ventilation naturelle et l’apparition de réglementations plus contraignantes, tant au champ que dans les silos, complexifient le stockage des grains », relève Simon Aimar, directeur du Naca. La gestion des insectes devient ardue du fait de l’interdiction de certaines molécules. Et l’ergot fait son retour dans certains secteurs, en raison de la disparition de certaines molécules au champ qui va de pair avec un durcissement de la réglementation (seuil abaissé à 0,2 g/kg de céréales contre 0,5 avant 2022). Enfin, « la diversification des cahiers des charges pour une même variété oblige les OS à davantage alloter », souligne Morgane Leclère, associée au sein du cabinet de conseil Agriviz.

Un contexte inflationniste

L’ensemble de ces difficultés se superposent à un « contexte inflationniste », rappelle Antoine Hacard. « Les charges fixes ont fortement augmenté, en termes de salaires, d’énergie et de fournitures, complète Catherine Matt. La multiplication des variétés, des qualités, des débouchés vient aussi complexifier la gestion des flux. »

Ce que confirme Romain Joya, consultant senior au sein du cabinet Ceresco : « Selon les différents indices de prix disponibles, les charges liées à la collecte ont augmenté de 20 à 25 % en moyenne entre 2019 et 2023, avec une hausse du prix de l’électricité (+ 90 %), du gaz (+ 99 %), du transport (+ 15 %) et des salaires (+ 12 %) ». Le coût de la collecte de grains conventionnels, évalué autour de 20-24 €/t en 2023, est « en cours de réévaluation » par Ceresco auprès d’une vingtaine d’OS. Malgré une incertitude sur le montant exact, la tendance serait « à la hausse ».

Réduire le nombre de silos

Pour Vincent Guelfucci, conseiller indépendant auprès de start-ups et ancien directeur supply chain chez Vivescia, « c’est la multiplication des ruptures de charges qui fusille le métier ». « Le passage par une plateforme coûte 7 €/t, par un silo, 10 €/t. Or la collecte a une marge moyenne de 15 €/t, ce n’est pas rentable », avance-t-il. Pour lui, il est essentiel de réduire drastiquement le nombre de silos et de repenser le stockage. Un constat partagé par Marie Jourdain : « L’architecture de collecte actuelle doit être rationalisée. » Ainsi des silos peuvent être convertis en « plateformes locales de collecte et de stockage temporaires moins coûteuses ». Attention tout de même à veiller à maintenir la satisfaction des agriculteurs pour éviter d’éventuels départs à la concurrence : ils ne sont pas prêts à faire plus de 11 km en moyenne pour livrer leurs récoltes (voir ci-dessous).

Repenser sa stratégie

Face à ces enjeux, comment rester compétitif ? « Il est essentiel que les OS aient une vision stratégique à quinze ans, répond Romain Joya. Avec le renouvellement des générations, une attention toute particulière devra être portée à la formation des opérateurs à la logistique de la collecte. » Le cabinet Agriviz propose aux OS de « les accompagner dans leurs projets de transformation, avec d’abord une réflexion autour de leur stratégie d’entreprise en fonction du territoire où elles sont implantées et de ses dynamiques, du coût de ses infrastructures et de ses débouchés possibles », explique Morgane Leclère.

Parmi les leviers à disposition des OS figure la rénovation des infrastructures. Axe stratégique, il doit être inclus dans une réflexion globale de modernisation de la collecte (lire pp. 24-27). La digitalisation peut aussi être un atout dans la gestion de la ventilation et des insectes (p. 28). La question du stockage à la ferme reste sujette à débat (p. 29). D’après Marie Jourdain, cette pratique permettrait de « s’adapter à l’agrandissement des exploitations, à la vitesse des chantiers de récolte et à la rareté des chauffeurs disponibles en pleine moisson. Mais il constitue une balance bénéfice-risque à bien évaluer. » En effet, selon les territoires ou les productions, il peut se révéler plus ou moins bien adapté. Enfin, « l’un des meilleurs facteurs d’optimisation, dans un contexte de plus en plus surcapacitaire, est peut-être la mutualisation. À condition d’être vigilant sur le montage pour conserver une relative fidélité des adhérents et rester concurrentiel », conclut Romain Joya. Gage donc aux coopératives et aux négoces de rester performants pour prouver à leurs agriculteurs qu’ils restent leur partenaire stratégique.

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